Deux tableaux cliniques bien différents peuvent relever de ce classement :
- La cervicalgie commune, dans laquelle sont retrouvées la cervicalgie attribuée à un fléau cervical et la raideur cervicale inférieure du sujet âgé.
- Le torticolis
La cervicalgie commune est le tableau le plus fréquent. Elle correspond à l’immense majorité des patients venant consulter un kinésithérapeute pour cette région. Elle cumule à des degrés divers raideur et douleur, souvent indissociables.
Il fut proposé [ANAES 2003] :
- Sur le court terme le traitement de la douleur (massage, tractions, mobilisation passive, manipulations vertébrales, étirements musculaires).
- Sur le moyen terme le traitement des perturbations motrices (renforcement musculaire, proprioceptif)
- Sur le long terme le suivi et le maintien d’une activité physique (auto-renforcement)
Généralités
Un traitement multimodal, ACTIF & passif
Il apparait aujourd’hui que le traitement des cervicalgies doit être majoritairement actif ou couplé avec de la thérapie manuelle et que son emploi précoce est préférable.
Les traitements passifs isolés, l’emploi tardif de techniques actives ralentissent la récupération. Un traitement multimodal, couplant passif et actif permet une efficacité avec un nombre de patients à traiter pour obtenir l’amélioration objective d’un d’entre eux (NNT), de l’ordre de 5.
Le traitement multimodal est d’une efficacité supérieure :
- au placebo sur le court et long terme,
- au traitement médical isolé sur le court terme,
- aux exercices isolés sur le court-terme,
- à la thérapie manuelle isolée sur les court et long-termes [Gross 2010].
Les traitements actifs
Ce paragraphe est délibérément placé en premier. Il sera développé dans le chapitre consacré aux cervicalgies avec perturbations motrices, mais il y a de fortes preuves en faveur de l’utilisation d’exercices augmentant la coordination, la force, l’endurance pour la plupart des formes de cervicalgies [Childs JOSPT 2008].
Les traitements passifs
La région thoracique d’abord
Paradoxalement, seuls les traitements passifs ciblant le rachis thoracique ont un effet avéré et probant dans les cervicalgies :
Une seule séance de manipulation vertébrale thoracique comparée à des traitements contrôles inactifs peut immédiatement ainsi que sur le court et moyen-terme améliorer les douleurs des cervicalgies aigües et sub-aiguës, la fonction des cervicalgies aiguës et chroniques [Gross 2015b].
Comparativement à une absence de traitement, il y ait suffisamment de données en faveur de la manipulation vertébrale thoracique dans la cervicalgie. Elles sont éparses et faibles pour ce qui est de la mobilisation passive comme de la manipulation vertébrale cervicale [Gross 2015b].
En pratique
Ne pas toucher le rachis cervical à la première séance. La consacrer à mobiliser passivement le rachis thoracique moyen, le manipuler, réaliser un massage appuyé entre les omoplates.
Le massage cervical
Le massage cervical global recueille un consensus professionnel sur son emploi [ANAES 2003]. Il est apprécié des patients et des praticiens, mais n’a pas d’efficacité prouvée sur le court comme le long-terme [Philadelphia Panel 2001, Patel 2012, Ezzo 2007] : il y a en fait de très faibles preuves que certaines techniques de massage puissent être plus efficaces qu’une absence de traitement ou un traitement placebo dans l’amélioration de la fonction ou les sensations douloureuses.
En pratique
Il existe un problème d’installation du patient : masser un patient en procubitus risque de majorer les douleurs cervicales par les postures prolongées en rotation. Il faut utiliser une table avec une têtière pouvant se placer en déclive, de façon à ne pas forcer l’extension cervicale, avec un espace central où loger la tête, ce qui n’est pas sans inconvénients (propreté, respiration confortable à travers un drap).
La chaise de massage est une option permettant de se libérer de ces contraintes, mais elle ne permet pas les appuis thoraciques importants.
Ces derniers, véritables mobilisations rythmées de la région thoracique couplées au massage, ont une efficacité retenue.
Les glissements latéraux sur la peau fragile du cou, comme les frictions circulaires douloureuses sont à éviter.
Mais :
Comme pour d’autres régions, joindre le geste à la parole en couplant la stimulation manuelle parfois intense des capteurs cutanés, articulaires et musculaires en informant le patient sur la neuro-physiologie de la douleur cervicale peut être la séance la plus productive du traitement.
Le traitement des points-gâchettes
Principe
Cela consiste à réaliser une pression statique mono ou pluri-digitale, ponctuelle et maintenue, sur le muscle et son homologue controlatéral. Elle est habituellement réalisée au milieu du corps charnu, qui correspond à la jonction neuro-musculaire. La pression est graduellement augmentée en fonction de la douleur du patient, le praticien se guidant à l’aide d’une sensation tactile de « fonte » du point.
Mise en évidence
Fransoo [Fransoo 2007] décrit 8 points à observer :
- Survenue brutale pendant ou après un effort excessif, ou progressive avec un surmenage prolongé du muscle affecté
- Territoires caractéristiques de dermalgies en rapport avec le point-gâchette.
- Faiblesse et limitation de l’amplitude d’étirement du muscle affecté
- Bande palpable (taut-band) dans le muscle affecté
- Sensibilité exquise à la pression, au niveau de la bande palpable
- Secousse musculaire en réaction à la palpation transversale ou la piqûre de la zone sensible
- Reproduction de la douleur dont se plaint le patient lors de la palpation transversale ou la piqûre de la zone sensible,
- Disparition des symptômes par un traitement du muscle affecté.
Validité de leur présence
Les données s’intéressant à l’incidence de ces points-gâchettes dans les rachialgies sont insuffisantes pour se prononcer. Les patients cervicalgiques semblent présenter plus fréquemment des points-gâchettes que les sujets sains, préférentiellement sur les trapèzes, élévateurs de la scapula, muscles sous-occipitaux [Lluch 2015], mais retrouver cliniquement un point-gâchette sur le trapèze supérieur, même pour des kinésithérapeutes expérimentés, ne concorde pas avec une mesure précise de la raideur locale, sous IRM [Chen 2016].
En pratique
Une pression bilatérale et symétrique mesurée à l’aide de capteurs de pression devrait permettre de mettre en évidence une asymétrie des douleurs en début de traitement, une symétrie en fin de traitement. Idéalement, il faudrait utiliser deux capteurs identiques pour vérifier la symétrie des pressions. La précision clinique est possible, mais peu utilisée.

Les tractions cervicales
Manuelles ou mécaniques, elles sont réputées pouvoir réduire sur le court terme les douleurs [ANAES 2003] mais les revues systématiques peinent à se prononcer [Van der Heijden 1995, Philadelphia panel 2001].
Vouloir augmenter le diamètre des foramens intervertébraux peut se faire plus aisément en flexion qu’en traction : elle nécessite des forces au delà de 5 kg [Le Roux 1996] voire de 10 kg [Cocton 1996] pour augmenter les diamètres des foramens intervertébraux.
L’utilisation de table de traction chez des patients cervicarthrosiques est discutée : une traction instrumentale intermittente du cou à 8 % du poids du corps pendant une durée de 20 minutes ne montre pas d’effet de relâchement des trapèzes supérieurs, sur le court-terme [Jette 1985].
En pratique
Des diminutions transitoires de douleurs en compression peuvent se retrouver lors de la traction. Elles sont sans intérêt évident autre que diagnostic sur le court-terme.
Réaliser des tractions douces et rythmées permet d’obtenir une mise en confiance afin de lier les techniques, mais le confort du patient est indispensable : prévoir un coussin sous les genoux, préserver l’intimité de la patiente en lui couvrant le buste.
Les techniques de contracté-relâché
Principe
Il s’agit de mettre en tension maximale passive le muscle, en inversant toutes ses composantes actives. Le praticien demande ensuite un contracté-relâché contre faible résistance («résistez à ma pression» est un ordre compris de la majorité des patients) suivi du relâchement du patient. Il mobilise ensuite passivement en gain d’amplitude.
Ces techniques peuvent être utilisées dans une cervicalgie, après évaluation notamment des tensions des trapèzes supérieurs, scalènes, élévateur de la scapula, grand et petit pectoral (recommandations basées à partir de faibles preuves) [Childs JOSPT 2008]
L’impression de tension musculaire est donc fonction du bilan réalisé. A ce titre, le concept de Gilles Péninou [Péninou 2008] sur les levées de tension est une façon logique de lier le bilan morpho-palpatoire et le traitement, comme Fred Mitchell le fait en les liant ces techniques de contracté-relâché au diagnostic de mobilité ostéopathique [Mitchell 2005].
Efficacité
Bien que l’efficacité de ces prises en charge ne sont pas démontrées, ces interventions sont reconnues consensuellement par la profession comme un adjuvant bénéfique dès lors qu’un muscle apparait d’une raideur excessive dans un contexte clinique [Childs JOSPT 2008]. Il ne faut cependant pas espérer d’avantages thérapeutiques notable à leur emploi isolé, sans analyse préalable [Gross 2015a].
En pratique
Ces thérapies entre l’actif et le passif demandent généralement de faibles résistances pour le contracté-relâché. Il semble que cela sollicite préférentiellement les muscles posturaux profonds, volontiers sidérés dans les cervicalgies.
Les contractions méticuleuses qu’elles demandent, ciblant un étage ou une physiologie, doivent permettent de lutter contre les contractions parasites rencontrées chez le cervicalgique, qui peut utiliser des fléchisseurs pour un travail actif d’extension, mais il faut peut être changer de paradigme : le contracté-relâché pourrait ne pas être destiné à lever des contractures musculaires, mais à stimuler les muscles posturaux sidérés et rendre le travail actif plus précis.
La position assise permet les plus grandes amplitudes tout en replaçant le cou dans sa situation habituelle.
La mobilisation passive cervicale
Lente, de grande amplitude, mono ou pluri-segmentaire, respectant la physiologie articulaire, sans mouvement brusque ou forcé, avec ou sans contracté-relâché préalable, ces techniques sont d’une efficacité modérée sur le court-terme, tout en ayant un effet non significatif sur le long terme [Hoving 2002]

La plupart des auteurs (Maitland, Sohier, Kaltenborn, Mulligan) réalisent des sollicitations en translation postéro-antérieure avec appui sur différentes parties de l’arc postérieur, sur un patient en procubitus ou assis.
Une poussée dorso-ventrale répétitive sur le processus épineux d’une vertèbre, sur un sujet en procubitus, provoque une alternance d’extension et de retour en position neutre sur le segment mobilisé et les étages adjacents. Elle a un effet antalgique.

Selon les méthodes, il s’agit de mobiliser le segment vertébral le plus raide, ou plus rarement le plus douloureux, en espérant que la répétition de la manoeuvre amènera l’antalgie.
Beaucoup de méthodes considèrent nécessaire de diagnostiquer l’étage responsable, la vertèbre coupable ou «en lésion» mais :
L’ensemble du cou répondant à la manœuvre « analytique », on ne peut donc pas considérer ce type de mobilisation comme le simple glissement d’une vertèbre sur une autre [Lee 2004].
Comparativement à une absence de traitement, il n’y a pas de différence d’efficacité entre un traitement délivré sur la vertèbre la plus douloureuse ou sur une vertèbre désignée au hasard [Aquino 2009].
Elles sont sans intérêt a priori sur des cous plus jeunes, souvent souples malgré la cervicalgie.
Manipulation vertébrale, SNAG (Sustained Natural Apophyseal Glide) de Mulligan ou mobilisation passive de type Maitland ont une efficacité comparable [Izquierdo Pérez 2014]
La manipulation vertébrale cervicale
Définition
Il s’agit d’un mouvement bref et sec (thrust), forçant les limites passives de l’articulation. Réalisé en moins d’une seconde, il s’accompagne fréquemment d’un bruit articulaire.
Le mouvement provoqué est soit un mouvement physiologique forcé, soit la plupart du temps un mouvement non physiologique : par exemple, pour le rachis cervical inférieur qui ne fonctionne qu’en inclinaison latérale et rotation homolatérale, la manipulation vertébrale utilisera l’inclinaison latérale couplée à la rotation controlatérale comme mouvement correcteur.
Là encore, le caractère spécifique unilatéral d’une manipulation vertébrale cervicale n’est pas démontré, ainsi, un phénomène de cavitation audible survient en bilatéral dans 9 cas sur 10 au niveau du rachis cervical supérieur [Dunning 2013].