
La palpation de la mobilité rachidienne est l’une des composantes habituelles de l’examen du patient en thérapie manuelle, malgré la remise en question de sa fiabilité. Cette masterclass ne permet pas de conclure de l’intérêt des conclusions obtenues par cet examen, mais analyse cette palpation à l’aide des connaissances neuro-physiologiques.
Oldies but goldies, quelques études passent les années sans que leurs conclusions soient trop remises en cause… Ou pas. Je profite de l’été pour ce retour vers le (peut être) futur. Note rédigée originellement dans ActuKiné le 28/08/2014
Sensibilité tactile de la main humaine
Illustration issue de l’article
Les auteurs recommandent de ne pas utiliser la paume de la main ou d’autres doigts qu’index et médius pour palper les mouvements vertébraux :
- La densité des mécanorécepteurs augmente au fur et à mesure entre la paume de la main et le bout des doigts, mais augmente plus fortement à partir de la phalange proximale. La plus grande concentration se retrouve dans l’index et le médius.
- La capacité d’un récepteur à reconnaître des formes est augmentée lorsque la taille du territoire afférent à ce récepteur est faible ; or, les territoires afférents à chaque récepteur sont de petite taille dans les doigts, comparativement à la paume de la main.
- La capacité à reconnaître deux points de contact cutanés est cinq fois plus importante à la pointe du doigt que sur la paume.
- L’étendue de la représentation corticale des doigts est plus importante que celle de la paume.
Traitement central de la sensation de mouvement
Ne pas trop impliquer le cortex frontal
L’utilisation du cortex somatosensoriel dans la détection manuelle et le codage des diverses activités de mouvement implique de faire confiance à nos perceptions sensorielles de mouvement plutôt qu’à une analyse critique méticuleuse de l’événement de mouvement par la surexploitation des aires associatives du cortex préfrontal.
Une analogie peut-être applicable à l’apprentissage de la danse lorsque le néophyte n’accepte pas de se «laisser aller» dans le mouvement d’apprentissage en décortiquant chaque pas de danse. La perception tactile devrait donc impliquer un processus de sentiment primaire et non un processus de pensée primaire.
Dolto résumait cela en conseillant à ses lecteurs de se servir du cerveau du cheval et non du néo-cortex pour dialoguer manuellement avec le patient.
Privilégier le bout des doigts
L’image corticale sensorielle d’un stimulus non douloureux ne représente pas toujours la sensation exacte, notamment pour les Pacini. En revanche, les corpuscules à adaptation lente (Merkel) et à adaptation rapide (Meissner) transmettent une image fidèle.
La conséquence pratique est de préférer une approche du bout des doigts plutôt qu’une approche du plat ou du bord de la main, comme dans une mobilisation passive postéro-antérieure.
Utiliser un toucher léger
La capacité d’un système sensoriel à capter des différences est fonction de la force d’un stimulus, mais la capacité de sentir une différence entre 1 et 2 kg est plus grande que celle permettant de sentir une différence entre 50 et 51 kg.
Cela suggère que, lors de l’appui sur des épineuses dans un test de type Maitland en procubitus, l’examinateur soit moins en mesure de percevoir le déplacement de mouvement ou raideur quand une force de 150 N est appliquée (2,5 ° d’extension segmentaire) que lorsqu’une force de 50 N est appliquée (1 ° d’extension segmentaire).
Un appui léger, détectant le premier mouvement de déplacement notable rachidien, est susceptible d’être un capteur de mouvement plus précis qu’un appui plus intense.
Facteurs altérant la perception
La perception tactile est influencée par de nombreux facteurs tels que le vieillissement, la conformation de la pointe du doigt, son utilisation ou son immobilisation, la vision, l’attention et la fréquence d’utilisation du geste.
Le vieillissement
Le vieillissement entraîne une réduction du nombre et de la section des corpuscules de Meissner et de Pacini.
Des adultes âgés (entre 55 et 65 ans) ont également une réduction du nombre de corpuscules de Meissner dans l’index et un seuil de perception 2,5 fois plus élevé que les sujets témoins jeunes (âgés de 10, 20, et 35 ans en moyenne).
Des sujets plus âgés (≥65 ans) présentent une baisse moyenne de 70% en discrimination de deux points à la pointe des doigts.
La perte de l’acuité spatiale avec le vieillissement n’est pas seulement liée à la perte de récepteurs de la peau, mais aussi à leur amincissement progressif. L’atrophie des neurones sensoriels myélinisés peut aussi expliquer une baisse liée à l’âge dans la vitesse de conduction.
Conformation de la peau et acuité tactile
La capacité de la peau du bout des doigts à se conformer aux détails spatiaux d’une surface ou un objet est également un facteur responsable de 50% de la variance de l’acuité tactile spatiale chez le sujet jeune. C’est un facteur plus important que l’intensité de l’appui, variant peu avec l’âge.
L’utilisation de la vision
L’importance du cortex visuel dans la perception tactile a été démontrée par une augmentation de son activation au cours de la discrimination tactile de nervures et de rainures de conformation diverses.
La perception tactile est améliorée par un stimulus visuel affichant la main lors de la palpation comparativement à l’affichage d’un objet neutre (un morceau de bois plat) apparaissant dans la même localisation spatiale. Les temps de réaction tactile sont plus rapides, la discrimination et les seuils sont améliorés.
Fermer les yeux lors de la palpation ne devrait pas améliorer la précision palpatoire.
L’attention de l’examinateur
L’attention a été définie comme «l’état d’esprit dans lequel une personne s’attend à une information particulière et se prépare à percevoir et agir sur cette information». Son altération joue avec évidence dans la qualité perceptive.
Manipuler l’état attentif modifie le traitement de l’information sensorielle et la perception des stimuli vibrotactiles comme de la texture.
Des études psychophysiologiques ont démontré que la détection des stimuli tactiles est meilleure lorsque l’attention est dirigée vers la modalité tactile et plus pauvre lorsqu’elle est dirigée à l’opposé.
Manipuler l’attention de l’examinateur au moyen de différents artifices de couleur influence de façon significative la capacité des sujets à détecter et de discriminer les petits changements dans la texture sur la face palmaire de la phalange distale du médius.
Amélioration de la perception sensorielle en fonction de la vitesse du mouvement
La vitesse à laquelle une surface de texture fine se déplace sur la peau du bout du doigt affecte la capacité à discriminer un stimulus sensoriel. Un mouvement vertébral lent peut renforcer la discrimination tactile.
Effets de la fréquence d’utilisation sur la perception tactile
Des études ont montré que la résolution spatiale tactile est supérieure chez des sujets aveugles que chez des sujets voyants d’âge comparable.
L’acuité tactile de sujets aveugles n’était pas corrélée avec la vitesse de lecture en braille, le montant de la lecture en braille par jour, l’âge où le braille a appris, ou les années de cécité.
Les sujets aveugles ne montrent pas de diminution liée à l’âge de l’acuité tactile par rapport à des sujets voyants d’âge similaire qui font preuve d’une diminution de l’acuité tactile de près de 1% et par an.
L’utilisation du toucher actif (scanning tactile pour explorer les objets) dans les activités de la vie quotidienne des aveugles semble être le facteur le plus important dans la préservation de l’acuité tactile sur toute la durée de vie plutôt que l’usage du braille.
La différence observée peut se rapporter à la dépendance à l’égard de la vision par les personnes voyantes de faire la distinction entre les touches, pièces de monnaie, ou la texture de tissu d’habillement, tandis que les personnes aveugles comptent entièrement sur la forme ou la discrimination de texture. Les voyants ne sont pas tenus de se concentrer toute leur attention sur la géométrie et la texture des objets.
Une preuve supplémentaire que l’utilisation intense, la confiance, et la concentration améliorent la perception tactile a été démontrée dans une étude qui a immobilisé les mains et les bras de 31 sujets durant une moyenne de 5,8 semaines. Après la période d’immobilisation, la discrimination en deux points sur le bout de l’index est significativement plus élevée sur le doigt immobilisé que sur le doigt non immobilisé, les seuils de discrimination se normalisant ensuite en 2 à 3 semaines.
L’immobilisation semble également avoir un effet sur l’activation corticale.
L’augmentation de la fréquence d’utilisation des mains peut aussi expliquer l’acuité spatiale significativement plus élevée chez les pianistes professionnels par rapport aux non-musiciens. Il est de même démontré que les praticiens de Tai Chi ont une acuité spatiale tactile plus grande que des sujets contrôles.
Ces avantages ne sont pas dus à une pratique directe de palpation, mais peuvent-être liés à l’attention que porte le praticien Tai Chi sur le corps (en particulier les mains et les doigts) lorsque des activités de mouvement lent sont effectuées. Pianiste comme praticien de Tai Chi ont routines intensives de pratique qui pourraient accroître l’efficacité neuronale et l’organisation corticale de l’acuité tactile conduisant à des seuils de discrimination spatiales plus basses.
Référence bibliographique :
Richard Edward Nyberg, A Russell Smith, Jr. The science of spinal motion palpation: a review and update with implications for assessment and intervention. J Man Manip Ther. Aug 2013; 21(3): 160–167.