
Les dissections artérielles (DA) cervicales sont parmi les causes les plus habituelles d’AVC chez les adultes jeunes ou middle-aged (entre 8% et 25% des AVC expliqués par ces altérations artérielles avant 45 ans).
Bien qu’il existe sûrement des cas asymptomatiques, 1 à 1.5 diagnostics de DA sont retrouvés par an parmi 100 000 sujets.
Elles peuvent être spontanées ou post-traumatiques, le traumatisme pouvant être sévère (accident automobile) comme plus indirect, dans 12 à 34% des cas (lever de charges lourdes, yoga, golf, tennis, …).
L’hyper-extension, la rotation ou l’inclinaison latérale du cou, les étirements brusques, mouvements soudains du cou, toux peuvent la provoquer (des traumatismes mécaniques modérés du cou et de la tête sont significativement associés à une DA cranio-cervicale, avec un odd-ratio de 23 IC95%[6 – 87]).
Le American Heart Association Stroke Council’s Scientific Statements Oversight Committee considère que la liaison entre manipulation vertébrale et dissection artérielle est prouvée (avec l’éternel débat entre liaison et causalité).
Note rédigée originellement dans ActuKiné le Samedi 1 Novembre 2014
Association entre DA et manipulation vertébrale :
La plupart de la littérature associant ces deux facteurs provient d’études de cas, observations ou opinions d’experts. De part la survenue très rare de la DA, une étude cas-témoin est la forme d’étude la plus utilisable pour se faire une opinion factuelle, mais les conclusions seront toujours moins affirmées que dans une étude prospective.
Disons qu’il est légitime d’avoir de grosses suspicions à l’encontre de la manipulation vertébrale cervicale, qui est plus fréquemment retrouvée dans les antécédents immédiats de l’AVC (lors de la survenue d’AVC attribué à une DA chez un sujet jeune, plusieurs études rétrospectives ont retrouvé une association avec une visite chez un praticien ayant pratiqué une manipulation vertébrale cervicale).
L’installation d’un AVC lié à une DA pouvant se traduire par des symptômes comparables à ceux retrouvés lors de cervicalgies communes, il est indispensable pour le thérapeute manuel de connaître ceux-ci.
Biomécanique de l’artère vertébrale lors du thrust :
Il est décrit 4 segments à l’artère.
- V1 va de l’artère sous-clavière au trou transversaire de C6 ou C5.
- V2 traverse les trous transversaires de C6 à C2,
- V3 présente un trajet tortueux entre C2 et le triangle sous-occipital entre C1 et C0, recouvert de la membrane atlanto-occipitale. Son trajet horizontal, dans une rainure à la partie supérieure de l’arc postérieur de l’atlas, est la partie la plus vulnérable lors des rotations.
- Le segment V4 franchi la dure-mère et passe dans le trou occipital pour rejoindre l’artère vertébrale opposée.
Un thrust HVLA (high velocity low amplitude) induit une contrainte cervicale estimée à 100 voire 150 N. Des forces plus importantes, entre 200 et 273 N ont été retrouvées lors d’études cadavériques. Elles sont cependant considérablement moindres que lors de thrusts thoraciques ou lombaires.
Les contraintes artérielles ont aussi été mesurées sur cadavre. Les manipulations vertébrales entrainent une augmentation de 6% de la longueur du vaisseau, mais, lors de mobilisations passives sans manipulation vertébrale, lorsque suffisamment d’extension et de rotation sont induites pour provoquer une ischémie vertébro-basilaire, cette augmentation est de l’ordre de 12%.
Beaucoup d’études ne retrouvent pas de perturbations dopplérographiques du flux artériel lors de la rotation en position de manipulation vertébrale simulée. Il n’y a pas de technologie pour mesurer le comportement artériel lors de la manipulation vertébrale in vivo.
Mécanisme lésionnel proposé :
La rotation et l’extension du cou prédispose l’artère vertébrale à la DA en étirant le vaisseau sur l’atlas ou la membrane occipito-atloïdienne. La migration d’un embol préexistant peut être favorisée par ce mouvement.
La présence de variations anatomiques, d’ostéophytes peut favoriser ces conflits. Le recouvrement de l’artère entre C1 et C2 par les muscles oblique de la tête et intertransversaire peut être aussi un facteur ajouté.
En théorie, la carotide interne (CI) peut être traumatisée lors de manipulation vertébrale en extension et inclinaison latérale de la tête, par conflit osseux cervical supérieur ou lors de son entrée dans le canal pétreux, mais elle est mise en tension lors de manipulation vertébrale à des intensités moindres que lors d’activités de la vie quotidienne et la présence du facteur manipulatif dans les antécédents de DA est quasi inexistant.
La DA de la carotide interne peut induire d’autres signes que la céphalée ou les maux de tête, comme un syndrome de Claude Bernard Horner, des parésies des nerfs crâniens les plus inférieurs, comme l’hypoglosse, une perturbation du goût. Des symptômes ischémiques cérébraux ou rétiniens sont présents dans 50 à 95% des cas.
Comment suspecter cliniquement une DA de l’artère vertébrale ?
Le patient typique se présente avec une douleur à l’arrière du cou ou de la tête, qui se poursuivra par une ischémie cérébrale postérieure. Il est volontiers jeune et sans antécédents cardio-vasculaires.
Les premières manifestations sont moins remarquables que celles de la DA de la carotide interne et sont généralement interprétées comme de nature musculo-squelettiques.
La douleur nuquale se retrouve chez un patient sur deux, des maux de tête se retrouvent chez deux tiers d’entre eux, presque toujours dans la région occipitale, mais dans de rares cas, ils concernent l’ensemble de l’hémi-crâne ou la zone frontale. Ils peuvent même être bilatéraux, mais, lorqu’ils sont unilatéraux, ils sont toujours ipsilatéraux à la DA.
Les maux de tête sont volontiers lancinants, stables, intenses.
Seulement la moitié des patients considèrent ces troubles comme habituels ; ils sont rarement pris pour une crise de migraine par les patients ayant eu des antécédents de migraine. Des névralgies ou parésies musculaires brachiales unilatérales existent, mais sont inhabituelles.
L’intervalle médian entre l’apparition de douleurs au cou et l’apparition d’autres symptômes est l’ordre de 2 semaines. Les symptômes ischémiques peuvent impliquer le tronc cérébral, en particulier la moelle latérale (syndrome de Wallenberg), ainsi que le thalamus, les régions temporo-occipitale, ou les hémisphères cérébelleux.
Une ischémie isolée de la moelle épinière cervicale est une complication rare mais de plus en plus reconnue.
Les accidents ischémiques transitoires sont plus rares que dans les DA de la carotide interne.
L’échographie comme outil de dépistage :
Elle a l’avantage d’être non invasive, peu coûteuse et largement accessible. Il n’y a pas d’irradiation et peu de contre-indications.
Les signes directs de DA sont à l’ échographie une sténose (augmentation des vitesses), une occlusion, la présence d’un hématome échogène, une double lumière. Les signes indirects sont une augmentation ou une diminution de la pulsatilité, des pulsations collatérales ou rétrogrades.
La sensibilité de l’échographie dépend de la gravité de la sténose. Dans une sténose sévère ou une occlusion, elle est de 100%, mais la sensibilité tombe à 40% lorsque la sténose est seulement légère.
L’expertise technique nécessaire pour identifier des signes échographiques discrets est un facteur important qui limite son utilisation.
Conclusions :
Même si le risque de survenue de ce type de pathologie est faible, l’American Heart Association considère que les praticiens :
- Doivent systématiquement avoir à l’esprit que les symptômes présentés par le patient venant en première intention pourraient être les prodromes d’une dissection artérielle.
- Doivent savoir qu’il y a un lien statistique entre dissection artérielle et manipulation vertébrale cervicale.
Références bibliographiques :
Biller J, Sacco RL, Albuquerque FC, Demaerschalk BM, Fayad P, Long PH, Noorollah LD, Panagos PD, Schievink WI, Schwartz NE, Shuaib A, Thaler DE, Tirschwell DL; American Heart Association Stroke Council. Cervical arterial dissections and association with cervical manipulative therapy: a statement for healthcare professionals from the american heart association/american stroke association. Stroke. 2014 Oct;45(10):3155-74. doi: 10.1161/STR.0000000000000016.