Pourquoi toucher les patients ?


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Dans cet article, Geri et al font le point sur cette forme spécifique de contact humain, ses trois modes d’action (analgésique, affectif et somato-perceptuel) et ce qu’il faudrait faire pour en améliorer l’impact.

C’est bien, des mises au point comme ça, de temps en temps…

Comment ça marche ?

Effets antalgiques

Instinctivement, chacun de nous est enclin involontairement à poser sa main sur une partie du corps blessée, à la caresser, à la presser, à la soutenir, à vérifier son intégrité ou   à accompagner physiquement la personne qui souffre. Ce n’est pas nouveau et cela reste validé, depuis Wall & Melzack jusqu’aux expériences neuro-physiologiques plus récentes : le toucher a un effet modulateur sur la douleur. 

Le toucher biaise la détection du signal, module l’évaluation de l’intensité de la douleur et de la qualité de la sensation douleureuse. 

Il semble agir par interaction sensorielle, plutôt que par distraction ou par d’autres processus cognitifs (par exemple, diminution des niveaux d’anxiété, d’hyper-vigilance et de peur de la douleur).

Cette régulation à la baisse des niveaux de douleur (l’analgésie tactile) semble être l’expression de la fonction de modulation de la douleur des fibres Aβ sur les voies Aδ et C, et peut être transmise au niveau du tronc cérébral par des circuits neuronaux sous-corticaux.

Le médiateur est neural.

Effets affectifs

Toucher permet de communiquer et de susciter des émotions. 

La personne touchée peut reconnaître les émotions véhiculées par le toucher, mais uniquement dans un contexte particulier. 

Le fait d’être plongé dans un contexte thérapeutique avec une attente de toucher, prépare positivement le cerveau à être touché. 

La caresse, comme l’application de tout autre type d’approche manuelle suffisante pour stimuler les fibres tactiles C («toucher affectif»), peut représenter une expérience thérapeutique enrichissante et agréable, faciliter les comportements d’affiliation et la réduction de la douleur. 

La médiation de ces effets est assurée par des signaux neuro-endocriniens, notamment l’activation d’opioïdes endogènes, d’ocytocine et de voies dopaminergiques.

Ainsi, le contact empathique avec les patients permet au physiothérapeute l’accès à la dimension significative de la communication non verbale, dépendante du contexte. Toucher avec cette intention favorise des réactions émotionnelles positives telles que des sentiments de sécurité et de détente et réduit les sentiments affectifs négatifs, l’évitement et les taux de bio-marqueurs liés au stress (amylase salivaire, cortisol salivaire, fréquence cardiaque) par la désactivation de systèmes liés à une réponse stressante face à une menace. 

Le médiateur est endocrinien.

Abord somato-perceptuel

Au-delà des concepts biomécaniques, l’approche pratique peut améliorer la perception du corps du patient en favorisant la réorganisation des représentations mentales du corps, en particulier pour les régions du corps invisibles à l’oeil du patient, telle que la colonne vertébrale. 

Le toucher du physiothérapeute peut aider le patient à mieux localiser la douleur et les stimuli tactiles à la surface de son corps. De cette façon, le toucher offre au patient la possibilité de faire la distinction entre des stimuli sécurisants et des stimuli agressifs, favorisant ainsi la perception consciente d’un corps intact. 

Se rendre compte que le corps n’est ni endommagé ni menacé réduit les réactions d’anxiété, d’évitement et de défense. 

Dans l’ensemble, les stimuli extéroceptifs fournis par un physiothérapeute peuvent favoriser une perception corporelle plus intégrée du patient. 

Des résultats récents suggèrent une influence positive du retour visuel sur la perception de la douleur. En ce sens, les mains des physiothérapeutes peuvent agir de la même manière que les yeux du patient, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance corporelle (« c’est mon corps ») et améliorant le sentiment perçu de libre arbitre («je le contrôle»).

Le médiateur est cortical.

Que faire ?

Pour le kinésithérapeute 

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Ce n’est pas thérapeutique si ce n’est pas sympathique (j’ai du mal avec la traduction… empathique ? en phase ? sympathique au sens système nerveux autonome ? ). 

Les kinésithérapeutes doivent se rappeler que les techniques manuelles ne sont pas des outils destinés à réparer le corps du patient. Elles offrent plutôt la possibilité de communiquer avec le cerveau du patient de la même manière qu’il pourrait le faire à l’aide de mots. 

Lors de l’interaction avec une personne, le ton de voix est modulable, élevé ou léger, rapide ou lent, en accentuant ou non certaines parties de la phrase. La communication médiatisée par le toucher doit procéder de même. 

Par conséquent, les cliniciens doivent sélectionner la «dynamique» appropriée lors de l’administration de techniques manuelles, caractérisés par les propriétés physiques (localisation, dimension de la zone de contact, intensité, vitesse d’exécution, fréquence, moment du contact) et émotionnelles (gentillesse, réception, affectivité, fermeté) du stimulus.

Ce n’est pas Michel Dufour qui dira le contraire 🙂

Pour l’enseignant

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Il lui faut aller au-delà de la logique supposée biomécanique ou neuro-physiologique.

La bonne exécution technique ne suffit pas : il faut guider l’étudiant sur la perception corporelle et les émotions du patient, développer ses compétences relationnelles. 

Pour ce faire, les étudiants doivent être formés aux techniques manuelles ainsi qu’aux techniques de communication avec un changement de paradigme, tenant compte aussi de l’expérience douloureuse du patient. Ils doivent savoir sur quoi ils mettent les mains, mais pas que…

On est loin des discours sur la douleur domaine réservé du médecin / l’anatomie et la biomécanique seuls domaines dont doit s’occuper le kinésithérapeute… 🙂

Pour les chercheurs

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Ils devraient orienter leurs recherches concernant le «toucher affectif» et la réorganisation de la représentation mentale, dans une perspective plus «émotionnelle». 

Il s’agit d’affiner les modalités selon lesquelles les pratiques manuelles sont déjà utilisées, afin de promouvoir la réorganisation des représentations corporelles (par exemple, en impliquant de manière interactive le patient sur les sites corporels où des stimuli tactiles sont appliqués). 

Ceci renforce la nécessité d’une approche de recherche multidisciplinaire élargie sur la douleur musculo-squelettique impliquant, par exemple, des spécialistes de domaines apparemment éloignés de la clinique, comme la sémantique, la psychologie, l’ethnologie, les sciences du comportement.

Pour l’Ordre et les organisations professionnelles

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Il s’agit, même si elle n’est pas forcément exclusive, de promouvoir et revendiquer la spécificité du toucher par un kinésithérapeute. 

Le fait de toucher une personne est un acte thérapeutique en soi, mais la relation entre le patient et le physiothérapeute, contrairement à d’autres, représente un contexte particulier dans lequel le physiothérapeute a la permission légale d’avoir un contact étroit avec le corps du patient. 

Compte tenu également des composantes émotionnelles associées au toucher et de toutes les dérives possibles, seuls des professionnels de santé dûment formés et enregistrés devraient avoir le droit d’utiliser cette approche en milieu clinique.


Références bibliographiques 

X24687812Geri T, Viceconti A, Minacci M, Testa M, Rossettini G. Manual therapy: Exploiting the role of human touch. Musculoskelet Sci Pract. 2019 Jul 25. pii: S2468-7812(19)30288-7. doi: 10.1016/j.msksp.2019.07.008. 

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